La recherche dans l’enseignement
apprentissage des langues se revendique de plus en plus fréquemment de la
Didactique des langues et des cultures. Dans cette perspective, penser
l’enseignement des langues étrangères en
Algérie conduit à interroger la place
accordée à la culture dans les textes officiels et les supports didactiques.
Je m’intéresserai spécifiquement dans cet
article à l’enseignement du français langue étrangère dans le système éducatif
algérien. J’analyserai la notion de
culture telle qu’elle est déclinée et traitée actuellement dans les recherches des
didacticiens des langues et des cultures. Je la mettre ensuite en résonnance
avec l’état des lieux de ce concept dans la politique linguistique et éducative
nationale. J’observerai pour finir les contenus et activités proposés dans les
manuels algériens, actuellement en usage dans le cycle moyen, à l’aune de ce
double regard officiel et théorique.
Il
s’agit de déterminer comment la didactique s’approprie la notion de culture qui
a fait l’objet, jusque là, d’un foisonnement de définitions. Quels seraient les
éléments notionnels ou ceux relatifs aux contenus et aux démarches, considérés
comme pertinents et sollicités par la didactique des langues pour mettre en
œuvre un « enseignement culturel » ?
Sans
passer en revue toute la littérature scientifique dans ce domaine, il y a lieu
de préciser au moins trois repères théoriques essentiels pour pouvoir les
distinguer utilement.
*
« Culture » et
« Civilisation »
La
première distinction que je crois utile de faire est celle de
« Culture » et « Civilisation ». Jusqu’à très récemment, l’enseignement
culturel se faisait sur la base de l’étude de textes de grandes œuvres destinés
à « former le goût ». L’homme « cultivé » s’abreuvait à la
source des « beaux textes » de
la littérature classique. On dit culture « savoir » ou culture
« cultivée ».
L’enseignement
de la « Civilisation » porte sur l’espace, la société,
l’économie et les mentalités qui la caractérisent[1]. Le cours de Civilisation est censé témoigner des mentalités, des progrès et de
l’état d’avancements technologiques qui caractérisent une société. Ce type de
cours figure encore aujourd’hui dans certaines universités européennes[2]
et dans bon nombre de méthodes Français langue étrangère-fle destinées aux
étrangers. Cet espace pédagogique est aujourd’hui disputé par l’enseignement
interculturel depuis l’avènement des approches communicatives et la place prise
par les documents authentiques. « Culture »
a dès lors pris un sens plus large en érigeant l’anthropologie comme
discipline de référence. La Culture est un « tout complexe qui inclut les
connaissances, les croyances, l’art, la morale, le droit, les coutumes, ainsi
que tout autres dispositions ou habitudes acquises par l’homme en tant que
membre d’une société.»[3]
Cette
approche anthropologique accorde un intérêt particulier à la synchronie et à
tout ce qui, dans la langue, est « à
charge culturelle partagée », selon l’expression de Galisson, à qui on
doit aussi la mise en évidence de l’imbrication des systèmes « langue-culture», à travers le
couplage des deux termes.
La
perspective actionnelle adoptée par le Cadre
européen commun de référence, plus communément dénommé CECR inscrit également la notion de Culture dans cette acception
anthropologique. On y voit toutefois émerger les notions de compétences plurilingue
et pluriculturelle qui ancrent davantage les acquis linguistiques et culturels
sur le plan des pratiques sociales que des savoirs.
*
« compétence interculturelle »
Cette
notion en vogue est entrée dans le domaine de la Didactique au début des années
80. Abdellah-Pretceille a, la première, pensé l’interculturel en termes
d’interaction inter-subjectives. Elle le définit comme étant « une interaction entre deux identités
qui se donnent réciproquement un sens, dans un contexte chaque fois à
définir : l’interculturel est donc, avant tout, une relation entre deux
individus qui ont intériorisé, dans leur subjectivité, une culture, à chaque
fois unique, en fonction de leur âge, de leur sexe, de leur statut social et de
leurs trajectoires personnelle »[4]. Puren ajoute à la notion
d’interculturel, celle de « co-culture »
pour signifier l’idée de « co-construction », un
« faire ensemble, malgré et avec nos
différences»[5].
Pour
développer « une compétence
communicativo-culturelle»[6],
Beacco distingue des composantes sur le modèle de ce que fait le Cadre européen commun de référence pour les
langues pour la compétence linguistique et communicative.
Après
le rappel de ces quelques notions, il convient d’examiner à présent les textes juridiques
et les documents de référence dans le domaine culturel. Les programmes
officiels et les manuels de classe pourraient nous dire aussi si une place est
effectivement accordée à ces enseignements et, le cas échéant, de quelle
manière sont didactisés les choix opérés au niveau de la politique éducative.
B. Principes et politique de
référence en matière de culture
Héritage
de sa propre Histoire tumultueuse face aux différents colonialismes que le pays
a eu à subir à travers les temps, l’Algérie affirme, en termes de valeurs, des
positions de principe largement partagées avec le reste du monde. Sa
constitution prône l’amitié entre les peuples, la lutte contre les
discriminations, l’adhésion aux principes de la charte des Nations unies
portant garantie de l’inviolabilité de la personne humaine et les Droits de
l’homme. Le texte fondateur est donc résolument orienté vers la construction
d’un espace universel où les Etats et les peuples partagent une culture de paix
incarnée par des valeurs de reconnaissance réciproque et d’échanges pacifiques.
Certes, le texte constitutionnel n’évoque pas de manière explicite le terme de
culture mais il y renvoie de manière symbolique au travers des valeurs humaines
construites par le long processus civilisationnel.
La
Loi d’orientation sur l’école reprend ces positions de principe en les
déclinant sous forme de finalités et de missions éducatives. L’article 2 de cette
loi projette la formation d’un « citoyen
doté de repères nationaux incontestables, profondément attaché
aux valeurs du peuple algérien, capable de comprendre le monde qui l’entoure,
de s’y adapter et d’agir sur lui et en mesure de s’ouvrir sur la civilisation
universelle »[7].
Visiblement, la vocation culturelle de l’école est d’aller
parallèlement dans deux directions, celle de l’ancrage dans les valeurs
nationales à travers « l’épanouissement
intégral, harmonieux et équilibré de la personnalité » de l’élève,
et celle de l’accès à la culture universelle.
Ce texte de loi oriente également vers
l’acquisition et l’enrichissement de la « culture
générale en approfondissant les apprentissages à caractère scientifique,
littéraire et artistique » et « en
assurant une formation culturelle dans le domaine des arts, des lettres et du
patrimoine culturel ». Dans les textes officiels, la culture semble
associée de manière privilégiée à une culture savante, esthétique, classique
qui s’acquiert par les domaines traditionnellement réservés à l’enseignement.
Il
faut noter aussi que cette éducation doit réserver une large place à la « culture démocratique »
entendue comme acquisition des principes de dialogue, de débat, d’échange et de
respect de point de vue et des manifestations de la différence.
Il
est donc fondé de penser que les textes de loi, qui constituent l’appui
législatif et la référence officielle sur lesquels s’adosse la politique
éducative en matière de programmes et de didactisation des contenus
d’enseignement/apprentissage déroulent un paradigme axiologique fondé sur la
connaissance de Soi et de l’Autre même s’ils tendent, il est vrai, vers une vision
savante et universaliste de la culture.
C. Principes
fondateurs et contenus des programmes
La
réforme des curriculums mise en œuvre à partir de 2003 a introduit des
nouveautés dans l’élaboration, l’évaluation et la révision des programmes.
L’outil de référence est le Référentiel
national des programmes. Celui-ci trace les objectifs généraux des
enseignements, établit les profils d’entrée et de sortie pour chaque cycle
d’apprentissage et fixe les choix
méthodologiques à mettre en œuvre en classe. L’option officielle de
l’approche par compétence est assumée et recommandée pour toutes les
disciplines enseignées. Par conséquent, il serait intéressant de déterminer la
place de l’enseignement de la culture dans ces documents dont la vocation est
de cadrer les pratiques de classes et les manuels édités par l’Office national
des publications scolaires (ONPS).
Finalités
et but de l’enseignement du français
Les
programmes par année reprennent les finalités et les missions de l’école, plus
spécifiquement les éléments jugés pertinents par rapport à l’enseignement du français.
Ainsi, certains extraits de la Loi d’orientation sur l’Education nationale
n°08-04 du 23 janvier 2008 sont mis en exergue, notamment l’article 2 (cité
plus haut) et l’article 4 sur les finalités de l’enseignement-apprentissage des
langues étrangères.
La
référence explicite, au niveau de ces textes, à des termes comme « langues
et cultures » et le déploiement du champ lexical y afférent (« civilisation »,
« communication », « interaction », « échanges »)
mettent d’emblée les documents de référence dans l’enseignement/apprentissage
des langues étrangères au niveau des enjeux didactiques actuels dans le domaine de l’enseignement des
langues et cultures. On peut donc considérer que la prescription officielle au
niveau des principes directeurs est à jour des avancées de la recherche en
Didactique des langues et des cultures.
Le
répertoire culturel dans le profil de sortie de l’enseignement moyen
Dans
le profil de sortie du cycle, les valeurs sont intégrées au répertoire
communicativo-culturel de l’apprenant. La spécification de la dimension
axiologique est plus développée qu’ailleurs. Elle est présentée sous forme de
contenus programmatiques ciblés de manière opérationnelle. Dans le profil de sortie
du second cycle, les valeurs, regroupées en deux listes, sont considérées comme
un axe important: des « valeurs
communes » dont l’objectif est de consolider l’unité nationale et des « valeurs plus spécifiquement
individuelles » parmi lesquelles on peut
retrouver les « valeurs esthétiques
et les valeurs humaines ouvrant sur l’universel ».
Il
y est mentionné que « le choix de
ces valeurs constitue une source première pour l’orientation du système
éducatif et pour ses finalités. Leur mise en œuvre détermine la nature du
curriculum, le choix des contenus et des méthodes d’apprentissage ».
« L’enseignement du français,
à l’instar de celui des autres disciplines, se doit de prendre en charge ces
valeurs en vue de contribuer à la formation saine et équilibrée de l’élève,
futur citoyen»[8].
Le
tableau des valeurs donnent un contenu précis et sans équivoque à l’expression « ouverture sur le monde ».
Il
ne s’agit pas moins que de « connaître
les autres civilisations, de percevoir les ressemblances et les différences
entre les cultures pour s’ouvrir sur les civilisations du monde et respecter
l’altérité ». Ce tableau donne matière
à structurer et planifier un enseignement/apprentissage de tous les objectifs
de la compétence interculturelle, en termes de savoir, savoir-faire et savoir
être.
L’étude,
même sommaire, de ces principes fondateurs montre donc que les documents et
textes de référence optent de manière plus ou moins explicite pour une prise en
compte de la dimension culturelle dans les enseignements /apprentissages de la
langue française et des langues étrangères en général. Les savoirs et
savoir-faire culturels font l’objet d’une spécification particulièrement claire
dans les profils de sortie des élèves en fin de cycle. Toutefois, ces éléments
de culture ne sont pas intégrés dans les objectifs d’apprentissage qui sont
orientés exclusivement vers l’acquisition de savoir -faire linguistiques, hors
contextualisation, qui permettrait un apport culturel conjointement.
D. L’organisation interne des
enseignements dans les manuels de français
Le
manuel est devenu un outil incontournable en classe de langue, en Algérie. Ce
constat est encore plus vrai depuis la quasi-disparition de la formation
initiale des enseignants. C’est un outil très pratique en ce sens qu’il propose
des supports textes, des images et des activités de langue. Les élèves sont tenus
de l’avoir sur eux en classe ; ce qui dispense l’enseignant de se lancer
dans la reprographie couteuse des supports de cours à tel point que le
professeur pourrait être parfois tenté de se passer totalement de la
planification dans la mesure où les supports et les activités proposées sont
accompagnés de questionnaires d’exploitation. Les intentions pédagogiques et
l’organisation des manuels sont explicitées dans l’avant-propos qui ouvre
chaque livre. Je vais donc commencer mon commentaire par là.
Intentions
pédagogiques et organisations des manuels du cycle moyen
Chaque
manuel est introduit par un avant-propos destiné aux élèves. Ceux-ci sont considérés comme les principaux
destinataires et utilisateurs du livre. Le texte de l’avant-propos explique, de
manière plus au moins détaillée selon les manuels, l’organisation du livre. Le
mode de distribution des contenus adopté est le projet, conformément aux
recommandations du programme. Il en existe trois dans chaque manuel. Le projet
est ensuite réparti par séquence ; trois, parfois deux, pour chaque
projet. L’élève prend connaissance aussi des types de texte qu’il va étudier au
cours de l’année.
Hormis,
le manuel de 2°AM, aucun autre livre de l’élève ne semble sortir de ce schéma
discursif qui se limite à dérouler l’organisation des contenus, sous forme de
projets, de séquences et de rubriques d’activité. L’avant-propos du livre de
2°AM mentionne en effet un principe axiologique du programme, en s’adressant à l’élève en ces termes :
« Nous avons tenté d’être en
phase avec tes centres d’intérêt en sélectionnant des textes mêlant
l’imaginaire au fantastique[9].Afin
de te permettre de voyager et de t’ouvrir sur le monde qui t’entoure, des
récits venus de contrées lointaines s’ajoutent à des contes et légendes
algériens ».
Les rédacteurs considèrent donc que, leur choix
de contes, de fables et de légendes proposés aux élèves, répond au double
principe d’un ancrage universel - «voyager
et t’ouvrir sur le monde »- et local -«contes et légendes algériens »-
reprenant
ainsi presque mot à mot les termes de la loi citée au début de notre texte.
Ces
genres textuels narratifs relèvent de la littérature. Il est possible en effet
d’en saisir l’esthétique et de faire ressentir la symbolique du voyage
imaginaire à travers un temps et un espace, certes fantasmés car jamais
explicitement indiqués dans les contes et légendes.
Sur
le plan culturel, ces textes peuvent fonctionner, dans une perspective
sémiologique, comme des signes à travers lesquels on peut retrouver des
signifiés qui se situeraient à un autre plan (plan des connotations
culturelles) que les signifiés primaires des signes linguistiques (plan de la
dénotation). Mais, tout cela n’est possible que si l’enseignant est
parfaitement conscient de ces enjeux sémiotiques et se montre capable de les
traduire en activités de classe.
Contenus
des manuels : supports et activités
Passer
en revue quelques documents supports et activités des manuels permettraient de
se faire une idée sur leur contenu culturel pour savoir s’ils peuvent offrir un
miroir de l’altérité et s’ils s’inscrivent dans une dynamique de connaissance
de l’Autre. Comme il n’est pas possible de passer au crible de l’analyse tous
les documents sur quatre niveaux de cursus, j’ai choisi ceux rattachés aux
objectifs généraux d’apprentissage programmés dont, moyennant quelques
aménagements de démarche pédagogique, on pourrait tirer matière à enseignement
culturel. Mon intérêt va donc être porté aux projets suivants :
Niveau
|
Projet
|
Objectif de communication
|
1°AM
|
INFORMER
|
Se présenter et présenter quelqu’un
|
3°AM
|
RACONTER
|
Rédiger l’histoire d’un patrimoine
|
4°AM
|
ARGUMENTER
|
Argumenter pour inciter la découverte
|
J’ai choisi ces trois actes de langage parce
qu’ils s’inscrivent dans une interaction communicative avec l’autre. Décliner
son identité ou celle de quelqu’un, raconter l’histoire d’un patrimoine, écrire
une lettre pour convaincre, exigent, en plus de savoir-faire communicatifs, la
nécessité de se placer du point de vue de l’autre, de jeter sur soi et sur les
autres un regard extérieur. La langue, en tant qu’outil de communication ne
peut pas éluder l’altérité sans tomber dans un fonctionnalisme et un
pragmatisme réducteurs : la langue comme la culture
est
bien
« un lieu de mise
en scène de soi et des autres »[10].
Malheureusement
les supports utilisés pour mettre ces objectifs en œuvre ne seraient pas, à
bien des égards, exploités dans une perspective culturelle/interculturelle. Le
traitement pédagogique qui en est fait se contenterait de rendre compte de
l’emploi formel de certains marqueurs linguistiques. L’exemple de la fonction
« Informer » dans le projet1 de 1°AM pourrait illustrer ce formalisme
linguistique par la limitation des situations où se met en œuvre cet objectif
de manière fonctionnelle, à certains éléments identitaires de type factuel qui
caractérisent l’individu présenté dans son appartenance au groupe social :
nom, prénom, âge, sexe… rien qui puisse donc
articuler ce social au psychologique pour en faire un être individuel
culturellement différent des autres. Les deux principales activités proposées sont
de relever les informations sur une fiche signalétique ou, inversement, de
partir de la fiche pour rédiger une notice de présentation sur la base des
informations stéréotypées évoquées plus haut.
Du
point de vue de l’ancrage situationnel des textes de présentation étudiés dans
ce projet, les personnes mises en scène renvoient toutes au contexte algérien
ou y sont reliées d’une façon ou d‘une autre (Megheni, Fanon, Mandela, Ben Mhidi,
Dib, Ben Bouali…). La part réservée à la dimension de
construction identitaire nationale est manifeste. Il n’y a pas d’éléments
interculturels. On utilise le français pour parler de, parler sur, systématiser
des structures linguistiques et actes de parole, mais non pour interagir
culturellement avec autrui. Les apports sont certes culturels mais
essentiellement en termes de contenus et très liés à l’acquisition de connaissances
culturelles nationales.
Le
deuxième exemple est celui d’une séquence de 3°AM. L’objectif
« lire/rédiger l’histoire d’un patrimoine » serait, éventuellement, une
bonne opportunité pour s’introduire dans la problématique culturelle, en
s’appuyant, par exemple sur les connaissances ethnographiques. En dépit d’un
inventaire diversifié d’objets culturels relevant du patrimoine national
(l’Imzad, la voilette algéroise, les ruines romaines de Tipaza, les bijoux
kabyles), les activités de questionnement proposées tournent principalement
autour de l’information qui affleure et du fait linguistique. Elles aboutissent à un simple énoncé de synthèse qu’on
propose à l’élève d’apprendre, dans une optique de restitution : « le patrimoine est un héritage commun
d’une collectivité, d’un groupe humain : c’est la mémoire d’un peuple et
de l’humanité[11].»
Le
troisième exemple porte sur le texte-extrait « lettre à un ami »[12]
qui est proposé en activité de lecture, en 4°AM. Ce choix de texte s’inscrit
dans l’objectif général « analyser
une lettre argumentative », intégré dans le projet3 (argumenter pour
inciter à la découverte).
Le
rédacteur de la lettre (Rachid) écrit à son ami pour lui reprocher d’avoir
préféré passer ses vacances à l’étranger au lieu de les consacrer à visiter son
propre pays. Afin de rendre plus intelligible les commentaires qui suivent,
j’ai préféré reproduire un large passage de cette lettre :
« […]
Tu me dis que tu reviens d’Europe où tu as passé un mois de vacances très
agréable et que tu as visité Paris, Londres, Berlin, Stockholm.
Malheureusement, dépenser tant d’argent pour voir des villes que tu as déjà
vues, des sites que tu pourrais bien voir ici, cela s’appelle du gaspillage.
Quand je pense que tu es incapable de situer Hammam Bou hanifia, Bou Saada, que
tu ignores Beni-Allel à trente kilomètres de chez toi, je juge ton voyage comme
un caprice d’enfant gâté.
La
Kabylie vaut la Normandie par ses vergers. Oran n’a rien à envier à aucune ville
européenne. Nos plages, n’ont–elles pas le sable le plus fin du monde ? Où
trouveras- tu un coucher du soleil semblable à celui qui dore les dunes
de Ghardaïa ? As-tu jamais vu les hirondelles voltiger sur les ruines de
Timgad ? Et les grottes de Tlemcen, ne te disent-elles rien ? Il y a
tant et tant de beautés à visiter dans notre pays».
Les
indications bibliographiques et celles contenues dans le rituel de la lettre ne
permettent pas de reconstituer tous les paramètres de la situation
d’énonciation. On ne sait pas dans quel contexte politico-social cette lettre a
été écrite ; qui est cet ami destinataire et à partir de quelle position
sociale et personnelle le rédacteur s’adresse à son ami.
La
lettre regorge de manifestations verbales ethnocentristes. Il appartiendrait à
l’enseignant d’en saisir l’opportunité pédagogique et d’en faire prétexte pour
donner au texte un prolongement éducatif dans une perspective
interculturelle : une belle occasion d’apprendre à l’enfant à objectiver
son propre système de références, à se distancier donc à admettre d’autres
perspectives personnelles et
culturelles. C’est au prix de telles démarches qu’on formerait un citoyen
équilibré, ouvert et rationnel.
Le
manuel ne semble pas aller dans une telle direction dans le traitement du
texte. Il centre plutôt son analyse sur les dimensions linguistiques : les
paramètres de la situation de communication (émetteur, récepteur, date, lieu),
les formules d’adresse au destinataire (formule d’appel, formule de politesse) et
le relevé des lieux cités dans la lettre ainsi que quelques éléments de comparaison
entre ces lieux.
Les
questions de synthèse me semblent révélatrices de l’intention pédagogique de
leurs auteurs :
Je donne mon opinion
·
Partages-tu le point de vue de
Rachid ? Justifie ta réponse.
·
Et toi, t’arrive-t-il de
communiquer par lettre avec ta famille, tes ami(e)s ? ou trouves-tu ce
moyen de communication dépassé ? Justifie ton point de vue.[13]
|
On
aurait pu penser que la première question (point de vue de Rachid) est une
amorce d’un travail sur la pondération dans l’expression des opinions ou sur
les notions de préjugés, d’égo-/ ethnocentrisme ou sur les attitudes de subjectivité
dans les jugements, de distanciation… En fait, l’exercice porte sur la
manipulation d’actes de parole (donner son point de vue et le justifier) qui
opérationnalise la fonction argumentative du discours. C’est représentatif de
toutes les activités des manuels en usage dans les classes. Leur centre
d’intérêt principal résiderait dans l’exploitation des phénomènes linguistiques
apparents sur la base, le plus souvent, d’exercices structuraux ou en tous cas
visant la systématisation de contenus linguistiques.
Conclusion
L’analyse
des contenus et des activités des manuels pourrait prendre plus de place, mais
je me contenterai de ce travail illustratif. L’essentiel de l’analyse étant
d’arriver au fait que les manuels contiennent des supports accompagnés
d’indications de démarche résolument orientées vers les phénomènes
linguistiques et discursifs.
Certains
supports toutefois, recèlent un potentiel culturel qui se laisserait
appréhender dans une perspective culturelle ou interculturelle, en attendant
des supports plus intégratifs des systèmes langue-culture. J’entends par perspective
culturelle l’accent qui pourrait être mis sur les contenus culturels (en lien
avec les contenus linguistiques) et par perspective interculturelle la
compétence communicationnelle qui permettrait de mettre en œuvre la capacité
des acteurs/interlocuteurs à repérer le culturel dans les échanges langagiers.
Les
compétences professionnelles des enseignants et leur degré de sensibilisation
sur l’étroite imbrication des dimensions linguistiques et culturelles dans la
communication conditionnent pour une large part la réussite de ce type
d’entreprise pédagogique.
La
manipulation du concept de culture n’est pas simple, dans notre pays, ni dans
aucun autre probablement. Au regard d’une longue expérience de dénis culturels vécus
sous moult périodes coloniales, et d’une configuration géographique traversée
par de multiples courants contradictoires (Orient/Occident ; Nord/Sud), notre
pays ne semble pas vivre la notion de culture de la manière la plus sereine
possible. Les enjeux importants que charrie cette notion, notamment sur le plan
identitaire, laissent penser qu’une certaine sensibilité, voire susceptibilité,
est attachée à ce terme. Il est clair que ces enjeux ne sont pas sans
conséquence sur l’action éducative, plus particulièrement sur l’enseignement du
français.
M. MOUSSA ABBAS
IEM-EN
[1]
Braudel F., Grammaire des civilisations, Paris, Flammarion, 1993, pp-40-55
[2]
L’université Paris1, pour ne citer que celle-là.
[3]
Tylor Eduard Burnett., Primitive culture,
London, Murray, 1874, cité in Cuche, D., la notion de culture dans les sciences
sociales- 3ème édition- La Découverte, Paris, 2004, p.16
[4]
Abdellah-Pretceille M., Porcher I., Education et communication interculturelle,
Paris, PUF, 1996, p.31.
[5] Puren Ch., 2002, « Perspectives actionnelles et perspectives
culturelles en didactique des langues-cultures : vers une perspective
co-actionnelle-co-culturelle », les
langues modernes, n°3, Paris, Nathan, p.67.
[6]
Beacco J-Cl., « la construction du savoir culturel », Mœurs et
Mythes, Hachette/Larousse, pp.22-23
[7]
Loi n° 08-04 du 23 janvier 2008 portant loi d'orientation sur l'éducation
nationale-article2
[8]
Consulter le tableau récapitulatif des valeurs dans le document-programme
[9]
En italique dans le texte
[10]
ABDELLAH-PRETCEILLE M., L’éducation interculturelle, PUF, Paris, 2004, p.17
[11]
Manuel scolaire de 3°AM, p.171.
[12]
Manuel scolaire 4°AM, p.170, d’après Rabia Ziani, Nouvelles de mon jardin, Ed.
ENAG
[13]
Idem. P.171
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