الاثنين، 10 مارس 2014

Le français dans le système éducatif algérien : quelle place pour l’enseignement de la culture au collège?

      La recherche dans l’enseignement apprentissage des langues se revendique de plus en plus fréquemment de la Didactique des langues et des cultures. Dans cette perspective, penser l’enseignement des langues étrangères  en Algérie conduit à  interroger la place accordée à la culture dans les textes officiels et les supports didactiques.
Je m’intéresserai spécifiquement dans cet article à l’enseignement du français langue étrangère dans le système éducatif algérien. J’analyserai  la notion de culture telle qu’elle est déclinée et traitée  actuellement dans les recherches des didacticiens des langues et des cultures. Je la mettre ensuite en résonnance avec l’état des lieux de ce concept dans la politique linguistique et éducative nationale. J’observerai pour finir les contenus et activités proposés dans les manuels algériens, actuellement en usage dans le cycle moyen, à l’aune de ce double regard officiel et théorique.

A.   Positionnement didactique sur l’enseignement culturel
 
Il s’agit de déterminer comment la didactique s’approprie la notion de culture qui a fait l’objet, jusque là, d’un foisonnement de définitions. Quels seraient les éléments notionnels ou ceux relatifs aux contenus et aux démarches, considérés comme pertinents et sollicités par la didactique des langues pour mettre en œuvre un « enseignement culturel » ?  
Sans passer en revue toute la littérature scientifique dans ce domaine, il y a lieu de préciser au moins trois repères théoriques essentiels pour pouvoir les distinguer utilement.

*  « Culture » et « Civilisation »
La première distinction que je crois utile de faire est celle de « Culture » et « Civilisation ». Jusqu’à très récemment, l’enseignement culturel se faisait sur la base de l’étude de textes de grandes œuvres destinés à « former le goût ». L’homme « cultivé » s’abreuvait à la source des  « beaux textes » de la littérature classique. On dit culture « savoir » ou culture « cultivée ».
L’enseignement de la «  Civilisation » porte sur  l’espace, la société, l’économie et les mentalités qui la caractérisent[1].  Le cours de Civilisation est censé témoigner des mentalités, des progrès et de l’état d’avancements technologiques qui caractérisent une société. Ce type de cours figure encore aujourd’hui dans certaines universités européennes[2] et dans bon nombre de méthodes Français langue étrangère-fle destinées aux étrangers. Cet espace pédagogique est aujourd’hui disputé par l’enseignement interculturel depuis l’avènement des approches communicatives et la place prise par les documents authentiques. « Culture » a dès lors pris un sens plus large en érigeant l’anthropologie comme discipline de référence. La Culture est un « tout complexe qui inclut les connaissances, les croyances, l’art, la morale, le droit, les coutumes, ainsi que tout autres dispositions ou habitudes acquises par l’homme en tant que membre d’une société.»[3]
Cette approche anthropologique accorde un intérêt particulier à la synchronie et à tout ce qui, dans la langue, est « à charge culturelle partagée », selon l’expression de Galisson, à qui on doit aussi la mise en évidence de l’imbrication des systèmes « langue-culture», à travers le couplage des deux termes. 
La perspective actionnelle adoptée par le Cadre européen commun de référence, plus communément dénommé CECR inscrit également la notion de Culture dans cette acception anthropologique. On y voit toutefois émerger les notions de compétences plurilingue et pluriculturelle qui ancrent davantage les acquis linguistiques et culturels sur le plan des pratiques sociales que des savoirs.

*  « compétence interculturelle »
Cette notion en vogue est entrée dans le domaine de la Didactique au début des années 80. Abdellah-Pretceille a, la première, pensé l’interculturel en termes d’interaction inter-subjectives. Elle le définit comme étant « une interaction entre deux identités qui se donnent réciproquement un sens, dans un contexte chaque fois à définir : l’interculturel est donc, avant tout, une relation entre deux individus qui ont intériorisé, dans leur subjectivité, une culture, à chaque fois unique, en fonction de leur âge, de leur sexe, de leur statut social et de leurs trajectoires personnelle »[4]. Puren ajoute à la notion d’interculturel, celle de « co-culture » pour signifier l’idée de « co-construction », un « faire ensemble, malgré et avec nos différences»[5].
Pour développer « une compétence communicativo-culturelle»[6], Beacco distingue des composantes sur le modèle de ce que fait le Cadre européen commun de référence pour les langues pour la compétence linguistique et communicative.

    Après le rappel de ces quelques notions, il convient d’examiner à présent les textes juridiques et les documents de référence dans le domaine culturel. Les programmes officiels et les manuels de classe pourraient nous dire aussi si une place est effectivement accordée à ces enseignements et, le cas échéant, de quelle manière sont didactisés les choix opérés au niveau de la politique éducative.

 B.   Principes et politique de référence en matière de culture
    Héritage de sa propre Histoire tumultueuse face aux différents colonialismes que le pays a eu à subir à travers les temps, l’Algérie affirme, en termes de valeurs, des positions de principe largement partagées avec le reste du monde. Sa constitution prône l’amitié entre les peuples, la lutte contre les discriminations, l’adhésion aux principes de la charte des Nations unies portant garantie de l’inviolabilité de la personne humaine et les Droits de l’homme. Le texte fondateur est donc résolument orienté vers la construction d’un espace universel où les Etats et les peuples partagent une culture de paix incarnée par des valeurs de reconnaissance réciproque et d’échanges pacifiques. Certes, le texte constitutionnel n’évoque pas de manière explicite le terme de culture mais il y renvoie de manière symbolique au travers des valeurs humaines construites par le long processus civilisationnel.
La Loi d’orientation sur l’école reprend ces positions de principe en les déclinant sous forme de finalités et de missions éducatives. L’article 2 de cette loi projette la formation d’un « citoyen doté de repères nationaux incontestables, profondément attaché aux valeurs du peuple algérien, capable de comprendre le monde qui l’entoure, de s’y adapter et d’agir sur lui et en mesure de s’ouvrir sur la civilisation universelle »[7].
Visiblement, la vocation culturelle de l’école est d’aller parallèlement dans deux directions, celle de l’ancrage dans les valeurs nationales à travers « l’épanouissement intégral, harmonieux et équilibré de la personnalité » de l’élève, et celle de l’accès à la culture universelle. 
Ce texte de loi oriente également vers l’acquisition et l’enrichissement de la « culture générale en approfondissant les apprentissages à caractère scientifique, littéraire et artistique » et « en assurant une formation culturelle dans le domaine des arts, des lettres et du patrimoine culturel ». Dans les textes officiels, la culture semble associée de manière privilégiée à une culture savante, esthétique, classique qui s’acquiert par les domaines traditionnellement réservés à l’enseignement.
Il faut noter aussi que cette éducation doit réserver une large place à la « culture démocratique » entendue comme acquisition des principes de dialogue, de débat, d’échange et de respect de point de vue et des manifestations de la différence.

   Il est donc fondé de penser que les textes de loi, qui constituent l’appui législatif et la référence officielle sur lesquels s’adosse la politique éducative en matière de programmes et de didactisation des contenus d’enseignement/apprentissage déroulent un paradigme axiologique fondé sur la connaissance de Soi et de l’Autre même s’ils tendent, il est vrai, vers une vision savante et universaliste de la culture.

C.   Principes fondateurs et contenus des programmes
La réforme des curriculums mise en œuvre à partir de 2003 a introduit des nouveautés dans l’élaboration, l’évaluation et la révision des programmes. L’outil de référence est le Référentiel national des programmes. Celui-ci trace les objectifs généraux des enseignements, établit les profils d’entrée et de sortie pour chaque cycle d’apprentissage et fixe les choix  méthodologiques à mettre en œuvre en classe. L’option officielle de l’approche par compétence est assumée et recommandée pour toutes les disciplines enseignées. Par conséquent, il serait intéressant de déterminer la place de l’enseignement de la culture dans ces documents dont la vocation est de cadrer les pratiques de classes et les manuels édités par l’Office national des publications scolaires (ONPS).

Finalités et but de l’enseignement du français
Les programmes par année reprennent les finalités et les missions de l’école, plus spécifiquement les éléments jugés pertinents par rapport à l’enseignement du français. Ainsi, certains extraits de la Loi d’orientation sur l’Education nationale n°08-04 du 23 janvier 2008 sont mis en exergue, notamment l’article 2 (cité plus haut) et l’article 4 sur les finalités de l’enseignement-apprentissage des langues étrangères.  
    La référence explicite, au niveau de ces textes, à des termes comme « langues et cultures » et le déploiement du champ lexical y afférent (« civilisation », « communication », « interaction », « échanges ») mettent d’emblée les documents de référence dans l’enseignement/apprentissage des langues étrangères au niveau des enjeux didactiques  actuels dans le domaine de l’enseignement des langues et cultures. On peut donc considérer que la prescription officielle au niveau des principes directeurs est à jour des avancées de la recherche en Didactique des langues et des cultures.

    Le répertoire culturel dans le profil de sortie de l’enseignement moyen
Dans le profil de sortie du cycle, les valeurs sont intégrées au répertoire communicativo-culturel de l’apprenant. La spécification de la dimension axiologique est plus développée qu’ailleurs. Elle est présentée sous forme de contenus programmatiques ciblés de manière opérationnelle. Dans le profil de sortie du second cycle, les valeurs, regroupées en deux listes, sont considérées comme un axe important: des « valeurs communes » dont l’objectif est de consolider l’unité nationale et des « valeurs plus spécifiquement individuelles » parmi lesquelles on peut retrouver les « valeurs esthétiques et les valeurs humaines ouvrant sur l’universel ». Il y est mentionné que « le choix de ces valeurs constitue une source première pour l’orientation du système éducatif et pour ses finalités. Leur mise en œuvre détermine la nature du curriculum, le choix des contenus et des méthodes d’apprentissage ».
« L’enseignement du français, à l’instar de celui des autres disciplines, se doit de prendre en charge ces valeurs en vue de contribuer à la formation saine et équilibrée de l’élève, futur citoyen»[8].
Le tableau des valeurs donnent un contenu précis et sans équivoque à l’expression « ouverture sur le monde ». Il ne s’agit pas moins que de « connaître les autres civilisations, de percevoir les ressemblances et les différences entre les cultures pour s’ouvrir sur les civilisations du monde et respecter l’altérité ». Ce tableau donne matière à structurer et planifier un enseignement/apprentissage de tous les objectifs de la compétence interculturelle, en termes de savoir, savoir-faire et savoir être.

    L’étude, même sommaire, de ces principes fondateurs montre donc que les documents et textes de référence optent de manière plus ou moins explicite pour une prise en compte de la dimension culturelle dans les enseignements /apprentissages de la langue française et des langues étrangères en général. Les savoirs et savoir-faire culturels font l’objet d’une spécification particulièrement claire dans les profils de sortie des élèves en fin de cycle. Toutefois, ces éléments de culture ne sont pas intégrés dans les objectifs d’apprentissage qui sont orientés exclusivement vers l’acquisition de savoir -faire linguistiques, hors contextualisation, qui permettrait un apport culturel conjointement.

D.   L’organisation interne des enseignements dans les manuels de français
Le manuel est devenu un outil incontournable en classe de langue, en Algérie. Ce constat est encore plus vrai depuis la quasi-disparition de la formation initiale des enseignants. C’est un outil très pratique en ce sens qu’il propose des supports textes, des images et des activités de langue. Les élèves sont tenus de l’avoir sur eux en classe ; ce qui dispense l’enseignant de se lancer dans la reprographie couteuse des supports de cours à tel point que le professeur pourrait être parfois tenté de se passer totalement de la planification dans la mesure où les supports et les activités proposées sont accompagnés de questionnaires d’exploitation. Les intentions pédagogiques et l’organisation des manuels sont explicitées dans l’avant-propos qui ouvre chaque livre. Je vais donc commencer mon commentaire par là.
    Intentions pédagogiques et organisations des manuels du cycle moyen
Chaque manuel est introduit par un avant-propos destiné aux élèves. Ceux-ci  sont considérés comme les principaux destinataires et utilisateurs du livre. Le texte de l’avant-propos explique, de manière plus au moins détaillée selon les manuels, l’organisation du livre. Le mode de distribution des contenus adopté est le projet, conformément aux recommandations du programme. Il en existe trois dans chaque manuel. Le projet est ensuite réparti par séquence ; trois, parfois deux, pour chaque projet. L’élève prend connaissance aussi des types de texte qu’il va étudier au cours de l’année.
Hormis, le manuel de 2°AM, aucun autre livre de l’élève ne semble sortir de ce schéma discursif qui se limite à dérouler l’organisation des contenus, sous forme de projets, de séquences et de rubriques d’activité. L’avant-propos du livre de 2°AM mentionne en effet un principe axiologique du programme, en  s’adressant à l’élève en ces termes :
« Nous avons tenté d’être en phase avec tes centres d’intérêt en sélectionnant des textes mêlant l’imaginaire au fantastique[9].Afin de te permettre de voyager et de t’ouvrir sur le monde qui t’entoure, des récits venus de contrées lointaines s’ajoutent à des contes et légendes algériens ».
Les  rédacteurs considèrent donc que, leur choix de contes, de fables et de légendes proposés aux élèves, répond au double principe d’un ancrage universel - «voyager et t’ouvrir sur le monde »- et local -«contes et légendes algériens »- reprenant ainsi presque mot à mot les termes de la loi citée au début de notre texte.   
Ces genres textuels narratifs relèvent de la littérature. Il est possible en effet d’en saisir l’esthétique et de faire ressentir la symbolique du voyage imaginaire à travers un temps et un espace, certes fantasmés car jamais explicitement indiqués dans les contes et légendes.
Sur le plan culturel, ces textes peuvent fonctionner, dans une perspective sémiologique, comme des signes à travers lesquels on peut retrouver des signifiés qui se situeraient à un autre plan (plan des connotations culturelles) que les signifiés primaires des signes linguistiques (plan de la dénotation). Mais, tout cela n’est possible que si l’enseignant est parfaitement conscient de ces enjeux sémiotiques et se montre capable de les traduire en activités de classe.

Contenus des manuels : supports et activités
    Passer en revue quelques documents supports et activités des manuels permettraient de se faire une idée sur leur contenu culturel pour savoir s’ils peuvent offrir un miroir de l’altérité et s’ils s’inscrivent dans une dynamique de connaissance de l’Autre. Comme il n’est pas possible de passer au crible de l’analyse tous les documents sur quatre niveaux de cursus, j’ai choisi ceux rattachés aux objectifs généraux d’apprentissage programmés dont, moyennant quelques aménagements de démarche pédagogique, on pourrait tirer matière à enseignement culturel. Mon intérêt va donc être porté aux projets suivants :
Niveau
Projet
Objectif de communication
1°AM
INFORMER
*      Se présenter et présenter quelqu’un
3°AM
RACONTER
*      Rédiger l’histoire d’un patrimoine
4°AM
ARGUMENTER
*      Argumenter pour inciter la découverte

 J’ai choisi ces trois actes de langage parce qu’ils s’inscrivent dans une interaction communicative avec l’autre. Décliner son identité ou celle de quelqu’un, raconter l’histoire d’un patrimoine, écrire une lettre pour convaincre, exigent, en plus de savoir-faire communicatifs, la nécessité de se placer du point de vue de l’autre, de jeter sur soi et sur les autres un regard extérieur. La langue, en tant qu’outil de communication ne peut pas éluder l’altérité sans tomber dans un fonctionnalisme et un pragmatisme réducteurs : la langue comme la culture est bien « un lieu de mise en scène de soi et des autres »[10].
     Malheureusement les supports utilisés pour mettre ces objectifs en œuvre ne seraient pas, à bien des égards, exploités dans une perspective culturelle/interculturelle. Le traitement pédagogique qui en est fait se contenterait de rendre compte de l’emploi formel de certains marqueurs linguistiques. L’exemple de la fonction « Informer » dans le projet1 de 1°AM pourrait illustrer ce formalisme linguistique par la limitation des situations où se met en œuvre cet objectif de manière fonctionnelle, à certains éléments identitaires de type factuel qui caractérisent l’individu présenté dans son appartenance au groupe social : nom, prénom, âge, sexe… rien qui  puisse donc articuler ce social au psychologique pour en faire un être individuel culturellement différent des autres. Les deux principales activités proposées sont de relever les informations sur une fiche signalétique ou, inversement, de partir de la fiche pour rédiger une notice de présentation sur la base des informations stéréotypées évoquées plus haut.
    Du point de vue de l’ancrage situationnel des textes de présentation étudiés dans ce projet, les personnes mises en scène renvoient toutes au contexte algérien ou y sont reliées d’une façon ou d‘une autre (Megheni, Fanon, Mandela, Ben Mhidi, Dib, Ben Bouali…). La part réservée à la dimension de construction identitaire nationale est manifeste. Il n’y a pas d’éléments interculturels. On utilise le français pour parler de, parler sur, systématiser des structures linguistiques et actes de parole, mais non pour interagir culturellement avec autrui. Les apports sont certes culturels mais essentiellement en termes de contenus et très liés à l’acquisition de connaissances culturelles nationales.
Le deuxième exemple est celui d’une séquence de 3°AM. L’objectif « lire/rédiger l’histoire d’un patrimoine » serait, éventuellement, une bonne opportunité pour s’introduire dans la problématique culturelle, en s’appuyant, par exemple sur les connaissances ethnographiques. En dépit d’un inventaire diversifié d’objets culturels relevant du patrimoine national (l’Imzad, la voilette algéroise, les ruines romaines de Tipaza, les bijoux kabyles), les activités de questionnement proposées tournent principalement autour de l’information qui affleure et du fait linguistique. Elles  aboutissent à un simple énoncé de synthèse qu’on propose à l’élève d’apprendre, dans une optique de restitution : « le patrimoine est un héritage commun d’une collectivité, d’un groupe humain : c’est la mémoire d’un peuple et de l’humanité[11]

    Le troisième exemple porte sur le texte-extrait  « lettre à un ami »[12] qui est proposé en activité de lecture, en 4°AM. Ce choix de texte s’inscrit dans l’objectif général « analyser une lettre argumentative », intégré dans le projet3 (argumenter pour inciter à la découverte).
Le rédacteur de la lettre (Rachid) écrit à son ami pour lui reprocher d’avoir préféré passer ses vacances à l’étranger au lieu de les consacrer à visiter son propre pays. Afin de rendre plus intelligible les commentaires qui suivent, j’ai préféré reproduire un large passage de cette lettre :

« […] Tu me dis que tu reviens d’Europe où tu as passé un mois de vacances très agréable et que tu as visité Paris, Londres, Berlin, Stockholm. Malheureusement, dépenser tant d’argent pour voir des villes que tu as déjà vues, des sites que tu pourrais bien voir ici, cela s’appelle du gaspillage. Quand je pense que tu es incapable de situer Hammam Bou hanifia, Bou Saada, que tu ignores Beni-Allel à trente kilomètres de chez toi, je juge ton voyage comme un caprice d’enfant gâté.
La Kabylie vaut la Normandie par ses vergers. Oran n’a rien à envier à aucune ville européenne. Nos plages, n’ont–elles pas le sable le plus fin du monde ? Où trouveras- tu  un coucher du soleil semblable à celui qui dore les dunes de Ghardaïa ? As-tu jamais vu les hirondelles voltiger sur les ruines de Timgad ? Et les grottes de Tlemcen, ne te disent-elles rien ? Il y a tant et tant de beautés à visiter dans notre pays».

    Les indications bibliographiques et celles contenues dans le rituel de la lettre ne permettent pas de reconstituer tous les paramètres de la situation d’énonciation. On ne sait pas dans quel contexte politico-social cette lettre a été écrite ; qui est cet ami destinataire et à partir de quelle position sociale et personnelle le rédacteur s’adresse à son ami. 
La lettre regorge de manifestations verbales ethnocentristes. Il appartiendrait à l’enseignant d’en saisir l’opportunité pédagogique et d’en faire prétexte pour donner au texte un prolongement éducatif dans une perspective interculturelle : une belle occasion d’apprendre à l’enfant à objectiver son propre système de références, à se distancier donc à admettre d’autres perspectives  personnelles et culturelles. C’est au prix de telles démarches qu’on formerait un citoyen équilibré, ouvert et rationnel.
Le manuel ne semble pas aller dans une telle direction dans le traitement du texte. Il centre plutôt son analyse sur les dimensions linguistiques : les paramètres de la situation de communication (émetteur, récepteur, date, lieu), les formules d’adresse au destinataire (formule d’appel, formule de politesse) et le relevé des lieux cités dans la lettre ainsi que quelques éléments de comparaison entre ces lieux.
Les questions de synthèse me semblent révélatrices de l’intention pédagogique de leurs auteurs :

Je donne mon opinion
·         Partages-tu le point de vue de Rachid ? Justifie ta réponse.
·         Et toi, t’arrive-t-il de communiquer par lettre avec ta famille, tes ami(e)s ? ou trouves-tu ce moyen de communication dépassé ? Justifie ton point de vue.[13]

     On aurait pu penser que la première question (point de vue de Rachid) est une amorce d’un travail sur la pondération dans l’expression des opinions ou sur les notions de préjugés, d’égo-/ ethnocentrisme ou sur les attitudes de subjectivité dans les jugements, de distanciation… En fait, l’exercice porte sur la manipulation d’actes de parole (donner son point de vue et le justifier) qui opérationnalise la fonction argumentative du discours. C’est représentatif de toutes les activités des manuels en usage dans les classes. Leur centre d’intérêt principal résiderait dans l’exploitation des phénomènes linguistiques apparents sur la base, le plus souvent, d’exercices structuraux ou en tous cas visant la systématisation de contenus linguistiques. 

Conclusion
    L’analyse des contenus et des activités des manuels pourrait prendre plus de place, mais je me contenterai de ce travail illustratif. L’essentiel de l’analyse étant d’arriver au fait que les manuels contiennent des supports accompagnés d’indications de démarche résolument orientées vers les phénomènes linguistiques et discursifs.
Certains supports toutefois, recèlent un potentiel culturel qui se laisserait appréhender dans une perspective culturelle ou interculturelle, en attendant des supports plus intégratifs des systèmes langue-culture. J’entends par perspective culturelle l’accent qui pourrait être mis sur les contenus culturels (en lien avec les contenus linguistiques) et par perspective interculturelle la compétence communicationnelle qui permettrait de mettre en œuvre la capacité des acteurs/interlocuteurs à repérer le culturel dans les échanges langagiers.
Les compétences professionnelles des enseignants et leur degré de sensibilisation sur l’étroite imbrication des dimensions linguistiques et culturelles dans la communication conditionnent pour une large part la réussite de ce type d’entreprise pédagogique.  

   La manipulation du concept de culture n’est pas simple, dans notre pays, ni dans aucun autre probablement. Au regard d’une longue expérience de dénis culturels vécus sous moult périodes coloniales, et d’une configuration géographique traversée par de multiples courants contradictoires (Orient/Occident ; Nord/Sud), notre pays ne semble pas vivre la notion de culture de la manière la plus sereine possible. Les enjeux importants que charrie cette notion, notamment sur le plan identitaire, laissent penser qu’une certaine sensibilité, voire susceptibilité, est attachée à ce terme. Il est clair que ces enjeux ne sont pas sans conséquence sur l’action éducative, plus particulièrement sur l’enseignement du français.

M. MOUSSA ABBAS
IEM-EN


[1] Braudel F., Grammaire des civilisations, Paris, Flammarion, 1993, pp-40-55
[2] L’université Paris1, pour ne citer que celle-là.
[3] Tylor Eduard Burnett., Primitive culture, London, Murray, 1874, cité in Cuche, D., la notion de culture dans les sciences sociales- 3ème édition- La Découverte, Paris, 2004, p.16
[4] Abdellah-Pretceille M., Porcher I., Education et communication interculturelle, Paris, PUF, 1996, p.31.
[5] Puren Ch., 2002, « Perspectives actionnelles et perspectives culturelles en didactique des langues-cultures : vers une perspective co-actionnelle-co-culturelle », les langues modernes, n°3, Paris, Nathan, p.67.
[6] Beacco J-Cl., « la construction du savoir culturel », Mœurs et Mythes, Hachette/Larousse, pp.22-23

[7] Loi n° 08-04 du 23 janvier 2008 portant loi d'orientation sur l'éducation nationale-article2
[8] Consulter le tableau récapitulatif des valeurs dans le document-programme
[9] En italique dans le texte
[10] ABDELLAH-PRETCEILLE M., L’éducation interculturelle, PUF, Paris, 2004, p.17
[11] Manuel scolaire de 3°AM, p.171.
[12] Manuel scolaire 4°AM, p.170, d’après Rabia Ziani, Nouvelles de mon jardin, Ed. ENAG
[13] Idem. P.171

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